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La consolidation actuelle des filières horticoles (obtention, production, distribution) renforce une polarisation structurelle entre les petites entreprises et les grands groupes. Cette polarisation se manifeste sur plusieurs plans : économiques, technologiques, commerciaux et stratégiques. Ces mouvements sont bien identifiables tant en Europe qu’ailleurs dans le monde.

[Temps de lecture : 14 minutes]

Les entreprises d’obtention végétale se sont déjà rapprochées

Depuis près de deux décennies, les grandes entreprises de sélection (breeding) ont fusionné entre elles et ont absorbé des spécialistes de plus petite taille pour compléter leurs gammes. Les investissements lourds pour accéder aux nouvelles technologies d’obtention et de multiplication favorisent la concentration de ce type d’entreprise, car seuls certains acteurs peuvent encore financer ces approches et attirer des structures d’investissement privé.

De plus, les pressions réglementaires et les législations relatives à la propriété intellectuelle (protections variétales, brevets, licences) augmentent, ce qui favorise les entreprises disposant de moyens juridiques et financiers solides. Les petits obtenteurs risquent d’être absorbés ou d’être obligés de conclure des partenariats ou des contrats de licence.

On note également des inquiétudes quant aux protections de plus en plus étendues (brevets sur le végétal) imposées par les grands groupes. Les plus petites structures restent cantonnées à des innovations incrémentales et n’ont souvent pas les moyens de suivre la montée en puissance technologique et réglementaire. Cela crée un écart croissant de productivité et de compétitivité, notamment sur les marchés à l’exportation, ainsi que des tensions possibles liées à la dépendance.

Si peu d’acteurs contrôlent l’essentiel des semences, des variétés de jeunes plants et de boutures, cela présentera des risques de dépendance pour l’approvisionnement en jeunes plants et l’innovation locale.

Les grandes entreprises de production se regroupent également.

De grands producteurs de plantes en pot, de produits de pépinières et de fleurs coupées se regroupent pour accroître leurs surfaces, rationaliser leurs outils (serres, logistique, transport) et mieux négocier avec les fournisseurs et distributeurs.

Ces regroupements sont parfois transfrontaliers pour pénétrer de nouveaux marchés, réduire les coûts de transport, profiter des saisons inversées, etc.

Certains producteurs recherchent l’intégration verticale en amont et/ou en aval en s’impliquant davantage dans la multiplication, voire l’obtention, ou dans la distribution, afin de contrôler toute la chaîne de valeur (qualité, coûts, innovation). Ceci est plus visible dans certains segments des filières horticoles comme les fleurs coupées.

Les investisseurs voient, depuis quelques années, dans la production horticole une opportunité, surtout si l’entreprise est innovante (espèces nouvelles, durabilité affirmée, distribution maîtrisée, etc.). Cela peut mener à des rachats ou à des prises de participation.

Les coopérations confirment leur pertinence par le partage de ressources (serres, stockage, distribution) et par des partenariats entre producteurs pour consolider l’offre. Cela peut être une alternative ou un complément aux fusions.

Les négociants et exportateurs suivent le mouvement

Le commerce international des fleurs et des plantes connaît également ce mouvement de consolidation accélérée, dû à la concentration de la distribution, à la digitalisation de la logistique et à l’augmentation des exigences en matière de traçabilité et de durabilité.

Par exemple, le Dutch Flower Group (DFG) rassemble 30 entreprises d’exportation (sur environ 600 exportateurs néerlandais). Ce groupe représente 33 % de l’ensemble des exportations de fleurs et de plantes cultivées ou en transit aux Pays-Bas (soit 2,3 milliards d’euros sur 7 milliards en 2024). Ces dernières années, le groupe a poursuivi sa stratégie d’intégration verticale. Cette consolidation vise à mutualiser les outils logistiques et informatiques (ERP1, chaînes du froid, RSE), à sécuriser les approvisionnements et à renforcer le pouvoir de négociation face aux grands distributeurs.

Pour les acteurs plus petits, ce mouvement peut représenter à la fois une opportunité d’accéder à de nouveaux marchés s’ils acceptent de passer par ces réseaux intégrés, et une menace par la pression accrue sur leurs marges et sur la diversification de leur offre.

Le DFG apparaît ainsi comme un indicateur avancé de la concentration du commerce horticole européen et mondial.

De son côté, la distribution BtoC se concentre également dans tous les pays, ce qui représente une force d’achat de plus en plus importante.

Ces mouvements renforcent une polarisation déjà bien engagée au sein des filières horticoles

La concentration en amont rend les producteurs intermédiaires dépendants de quelques obtenteurs pour leurs variétés, souvent sous licence payante.

La concentration de l’aval (distribution, jardineries, centrales d’achat) resserre l’étau sur les marges des producteurs, souvent petits ou moyens.

Les risques ne sont pas négligeables : ces concentrations peuvent entraîner une réduction des capacités de production locales et une diminution de la diversité végétale proposée.

Cependant, cette polarisation peut aussi devenir une opportunité pour les producteurs horticoles intermédiaires.

Face à la concentration croissante des grandes entreprises en amont et en aval, les producteurs intermédiaires ont encore la capacité de préserver, voire de renforcer, leur viabilité en misant sur la solidarité économique : coopération, groupements d’achat, plateformes logistiques partagées ou encore mutualisation d’équipements. En s’engageant dans une concertation pré-concurrentielle constructive, les producteurs peuvent proposer une offre végétale diversifiée, locale et durable, soutenue par une labellisation reconnue et crédible, accompagnée d’une communication coordonnée performante. Parallèlement, l’investissement dans la formation, notamment pour accompagner la transition numérique et écologique, constitue un levier essentiel de modernisation et de compétitivité.

Les solutions passent donc sans équivoque par une reconfiguration collective de la filière horticole, conciliant la valeur économique, l’ancrage territorial et la durabilité environnementale. Les fédérations de producteurs, déjà actives et structurées, sont les mieux placées pour impulser cette dynamique collective : mutualiser les ressources, renforcer les synergies et bâtir une filière horticole intermédiaire plus solidaire, plus performante et plus résiliente.

Brand WAGENAAR,Octobre 2025

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  • Sources : veille internationale semaines 40 à 44 2025